La République de Chine, ex-Formose, n’est pas cette fabrique sans âme du modernisme bas de gamme. Cette deuxième Chine conserve jalousement traditions et trésors.
« Vous voulez devenir bouddhiste? » « Non. » Ma réponse sans ambages jette un froid parmi les autres visiteurs venus eux aussi par simple curiosité, mais…plus polis ! « Vous êtes en bonne voie : au moins, vous êtes sincère ! » répond du tac au tac mon interlocutrice. C’est un petit bout de moniale, crâne rasé et bure grise ; énergique et pateline, elle me guide dans ce dédale de salles et de pénombre, d’autels nimbés de leds.
Je suis au centre de l’île, dans Chung Tai Chan, plus grand temple zen au monde. À ma vue, deux dragons rouge corail roulent de l’œil, quatre rois en armure semblent prêts rugir et un dieu obèse éclate de rire. Des ascenseurs partout. L’automatisme. La clim’. Sous la pagode de sept étages, enchâssée dans une tour de 134 mètres, dorment les plus vieux manuscrits bouddhistes de la terre.
Bien dans le ton de cette deuxième Chine, insulaire, vaste comme la Belgique, en allers-retours non-stop entre coutumes et haute technicité. La clef de tout peuple ambitieux, au fond. Taiwan combine ainsi bouddhisme et fashion coréenne, confucianisme et cybernétique nippone.
Avec un zeste américain et ses propres talents, bien sûr, tel Tsu-Yuan Li, justement, l’architecte de Chugn Tai Chan. À ce play-boy de 80 ans, on doit aussi le gratte-ciel Taipei 101 qui, grâce à son demi-kilomètre et les 730 tonnes de sa boule antisismique, fut le plus haut du globe jusqu’en 2010.
Un doigt dans la médecine
Au plus haut édifice de Taipei fait écho le plus long : une vieille maison de thé qui vend toujours du wulóng, feuilles fermentées en faveur ici. À une extrémité, une porte ouvre sur le quai et le cours d’eau fangeux d’où Taipei a surgi : comme ses voisines, la boutique rentrait le gros par l’arrière, qu’elle vendait au détail en devanture.
Je marche dans la vieille ville, sous les arcades des années 1930, intactes, vivantes, mêlant au fil des corporations fruits inconnus et sacs d’alevins secs, bocaux de pharmacopée, boîtes en fer ou de bois vitré. La cuisine chinoise a toujours un doigt dans la médecine, chaque élément équilibrant l’autre, car une Chinoise tambouille sa soupe avec le respect d’une apothicaire pour la posologie.
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